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Comme une odeur de mouton

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Notre arrivée à Oulan-Bator fut assez facile. Le chauffeur de notre guesthouse nous a cueillis directement à la gare. Un rapide tour en minibus nous a donné un aperçu de la capitale mongole, pas terrible. UB, pour les intimes, n’a rien d’une jolie ville, plutôt le contraire même : barres d’immeubles angulaires, routes défoncées, amas de yourtes et de tôles de fortune formant des bidonvilles. La population mongole compte à peine plus de 2 millions d’habitants dont la moitié vit à Oulan-Bator. La cité connait un essor important depuis quelques années. De nombreux mongols quittent la campagne pour travailler en ville qui grossit de manière plutôt anarchique.

Nous avons dormi dans le centre qui s’organise autour de « Peace avenue », de son state department store, un centre commercial à l’américaine, et de son écran géant qui diffuse toute la journée des publicités vantant les mérites du monde moderne sur fond de musique tonitruante. Traverser Peace avenue relève du défi, une sorte de duel entre le piéton et les véhicules, du plus gros au plus petit. Il n’y a pas de feu de signalisation, et les voitures, les bus et motos n’ont que faire de laisser passer les piétions. C’est chacun pour sa peau. Il faut donc s’imposer mais aussi savoir s’arrêter au bon moment, même au milieu de la chaussée à 4 voies. Le mieux est de suivre les locaux qui n’ont pas froid aux yeux, et le mieux du mieux c’est de repérer une maman avec un jeune enfant et de s’en servir comme d’un bouclier. C’est à la fois terrible et rassurant.

Nous nous sommes laissés quelques jours pour nous balader dans la ville, faire nos demandes de visas chinois et réserver un tour pour visiter la steppe mongole. La plupart des guesthouses de la ville ainsi que d’autres organismes privés proposent des tours tout compris pour sillonner le désert de Gobi ou faire du poney dans l’ouest du pays. Ce supermarché du tour organisé peut sembler assez agaçant et un peu déroutant notamment parce que les prix varient énormément d’une société à une autre pour des prestations souvent similaires. Si l’on a donc l’embarras du choix, il faut quand même être un peu vigilent et prendre quelques jours pour comparer les prix et le contenu des tours proposés. La taille du groupe influe sur le prix, certains frais comme l’essence, les services d’un chauffeur et d’un guide, pouvant être partagés. Il est donc possible de constituer un groupe sur place ou de se greffer à d’autres voyageurs pour limiter ses frais. Vous pouvez aussi choisir de louer les services d’un chauffeur privé, ce qui ne revient pas forcément plus cher au final mais qui est cependant beaucoup plus compliqué à organiser. Nous sommes partis avec Khongor Expédition car nous avons préféré la facilité et la sécurité qu’offre une grande enseigne malgré le côté usine à touristes.

Et puis, nous sommes des touristes, rien ne sert de lutter contre cette idée ou de courir après toute forme d’exclusivité ou d’authenticité. Comme si c’était hautement plus gratifiant de se retrouver tout seul sur un site remarquable, d’être l’unique à détenir la carte d’un lieu paradisiaque ou encore d’être le premier à rencontrer un nomade du Gobi. Comme si les nomades eux-mêmes n’avaient pas déjà une idée du monde occidental. Comme si au fond, ils vivaient vraiment coupés de toute forme de progrès… C’est très intéressant de discuter avec d’autres touristes, de les écouter parler d’authenticité et d’exclusivité. Certains nous ont dit par exemple : « moi, je connais un endroit super préservé au fin fond du Yunnan. C’est magnifique, aucun touriste à des kilomètres, le contact avec les locaux est for-mi-da-ble… mais surtout ne le dites à personne, il vaut mieux que ça reste entre nous », et une autre d’ajouter : « si vous allez à la Grande Muraille, évitez Badaling, il y a trop de touristes, préférez plutôt Mutianyu ou Simatai ; c’est plus difficile d’accès mais tellement plus préservé ! »

Ce qui est drôle, c’est que ces mêmes touristes, on les rencontre dans les guesthouses qui sont en fait des hôtels ghettos pour touristes occidentaux, proposant un menu avec cuisine occidentale, un planning d’activités et de veillées à thèmes digne d’une colonie de vacances et des tours organisés pour visiter les alentours. Paradoxe assez amusant, cette course à l’exclusivité qui pousse les êtres humains à vouloir planter des petits drapeaux façon 1er pas sur la lune et qui toutefois se retrouvent en masse sur les plages de Thaïlande. On pense tous faire un voyage exceptionnel, mais en fait on est des milliers à faire exactement la même chose. Il n’y a plus d’explorateurs comme au 19ème, et pourtant un voyage au long cours n’en reste pas moins une sacrée aventure.

C’est juste qu’il n’existe pas de hiérarchie dans la manière de voyager, ni une meilleure façon qu’une autre : il y a des manières de voyager avec leurs avantages et leurs inconvénients. Nous, nous aimons bien nous retrouver de temps en temps dans la masse de touristes et parfois même au sein de tours organisés. C’est même plutôt plaisant et tellement plus facile, ce genre de colo pour adultes avec un planning clé en main, des gens pour vous nourrir, pour vous conduire, vous dire où dormir… Aujourd’hui c’est aussi ça le tourisme, et nous nous intéressons à ce phénomène. Nous aimons le décortiquer, le photographier et aussi le raconter. Alors pourquoi s’évertuer à refuser sa condition de touriste noyé dans la masse ?

Le 4 août dernier, nous avons rejoint un groupe composé d’un couple de slovènes, Ana et Silvij, de deux britanniques, Steven et Mick, de Onji notre guide et de Oggi notre chauffeur, pour faire un tour de 14 jours dans le sud et le centre du pays. Après de rapides présentations, nous sommes montés à bord d’un minivan russe, notre véhicule tout terrain pour la durée du séjour. Le premier jour a donné le ton des suivants : 8 heures de piste à être secoués, une soupe de raviolis aux moutons en guise de repas, des paysages désertiques, des troupeaux de chevaux, une nuit dans une yourte au milieu de nulle part. Nous ne nous connaissions pas encore et pourtant nous allions vivre une aventure qui assurément nous rapprocherait : 24h/24 avec de parfaits inconnus, à partager les mêmes expériences culinaires, à dormir sous la même yourte, à voir les mêmes paysages, à rencontrer les mêmes nomades du désert, à utiliser les mêmes latrines. Traverser la Mongolie, c’était aussi faire la connaissance du groupe.

Oggi, 27 ans, employé comme chauffeur par Khongor Expédition, marié depuis un an à une guide d’une autre compagnie. En haute saison, il travaille quasiment 7j/7 et environ 18h/24. Lorsqu’il ne conduit pas, il répare le minivan, démonte le boîtier de vitesse ou nettoie la carrosserie. Ce n’est pas seulement une obligation pour lui car à le regarder on mesure combien il y prend du plaisir. Un gosse avec ses majorettes, Oggi avec son minivan. Il voit rarement sa femme mais passe énormément de temps au téléphone avec elle. Le sud de la Mongolie est un désert certes, mais il y a des antennes relais partout. Au milieu de nulle part, ils arrivent toujours à se joindre. De temps en temps, leurs itinéraires se croisent.

Ce jour-là, nous étions dans le Gobi face aux dunes de sable, prêts à partir pour une balade à dos de chameau ; pantalons et chaussures fermées de rigueur. Il était presque 19 heures. Michaël avait laissé ses godasses dans le véhicule. Le minivan avait disparu. Oggi était parti rejoindre sa femme à quelques kilomètres du camp. Il n’était pas joignable. Nous nous sommes impatientés. Il est quand même revenu à temps, l’air de rien. C’est comme ça que nous avons appris à ses dépends un bout de son histoire de vie, son mariage récent, le boulot de sa femme, leurs entrevues furtives.

Nous sommes finalement montés sur les chameaux, plutôt placides comme bestioles. Leurs bosses sont particulièrement douces. Et l’activité fut vraiment plaisante, le hightlight de nos deux jours à contempler les dunes, de quoi contrebalancer les douze dernières heures passées à ne rien faire, coincés que nous étions dans une yourte transformée en four solaire, attendant patiemment que la lumière décline. L’air était si sec. Pas un seul point d’eau à des kilomètres, et pourtant, chose surprenante, j’ai aperçu une machine à laver à l’intérieur de la yourte des propriétaires du camp. Moi qui imaginais une Mongolie authentique avec des nomades proches de la nature, des gens vivant simplement, utilisant de manière raisonnée et raisonnable les ressources de leur territoire…

Bon j’en rajoute un peu. Non pas que j’ignorais totalement ce que pouvait être la réalité, c’est juste que j’aurais voulu un peu croire à cette description édulcorée. En fait le nomadisme est conciliable avec le confort. Nombreux sont les nomades à avoir équipé leur yourte d’une télévision, d’un panneau solaire, parfois d’une machine à laver. Ils ont des voitures ou des motos, boivent de la vodka et du red-bull, mangent des produits de l’industrie agro-alimentaire et ne sont pas tous habillés en costume traditionnel. Ils vivent de l’élevage, ne font quasiment rien pousser sur leurs terres, brûlent leurs déchets derrière leur camp ou les abandonnent un peu n’importe où.

La Mongolie n’est pas un pays très développé et le manque d’infrastructures pour canaliser l’arrivée du progrès est assez criant. Les mongols ont même des difficultés à valoriser leur patrimoine. Notre guide nous a amenés à Yol Valley au début du séjour. C’est un site naturel important en Mongolie. Un grand canyon rempli d’au moins 5 à 6 mètres de glace en hiver. En été on peut s’y balader facilement. Nous y avons randonné pendant quelques heures après la visite obligatoire d’un petit musée d’histoire naturelle. Une petite boutique des horreurs en fait : 3 salles contenant des animaux empaillés, des bouts d’os de dinosaures mal exposés, des vitrines peu entretenues, des cartes dessinées par des enfants de primaire… un peu pathétique, sans compter que la taxidermie n’est vraiment pas le fort des mongols. Cela nous a valu un bon fou rire à Michaël et à moi-même mais je crois que les photos parleront d’elles-mêmes. Ana et Silvij ont rapidement fui l’endroit. Seuls Steven et Mick se sont comportés en bons élèves.

Steven, 56 ans, est un prof de bio qui enseigne dans un lycée de Bristol. Le gentil du groupe, un genre de gros nounours en somme. Pas trop bavard, pas trop timide non plus, c’était une personne intéressante, plutôt à l’écoute des autres, un ancien rugbyman de bon niveau et aussi un très bon ami de Mick. Depuis de nombreuses années, Steven rejoignait Mick à l’étranger pendant ses congés annuels. Cette année ils se sont retrouvés à Oulan-Bator.

Dans le musée de Yol Valley, Steven semblait intéressé, peut-être son côté enseignant, et pendant la randonnée, il fut le seul à avoir eu l’œil pour repérer des bouquetins en haut des crêtes. Malheureusement, Mick, le plus « aventurier » du groupe n’était pas là pour apprécier le spectacle, de quoi attiser sa jalousie de ne pas être sur le devant de la scène. Il a même critiqué en rigolant les photos de Steven en disant qu’on n’y voyait rien, que ça aurait pu être n’importe quel animal, bref que les clichés n’avaient aucun intérêt, le tout sur le ton du faux second degré.

Mick, 56 ans est un prof de sport en free lance qui bosse dans les universités de Londres et des environs. C’est un ancien athlète qui s’est trop blessé pour continuer le sport à haut niveau. Il s’organise pour travailler seulement 6 mois de l’année et voyager le reste du temps. Il avait visité le Laos avant d’atterrir en Mongolie. Il portait le costume du parfait baroudeur, sa peau était marquée par le soleil, son corps un peu cassé par ses aventures. Il se montrait toujours très intéressé par ce qu’il voyait, les gens qu’il rencontrait. Il mangeait tout ce qu’on lui proposait et finissait même les assiettes des autres. De toutes façons il était « plus » qu’on n’aurait pu l’être : plus aventurier, plus voyageur, plus expérimenté… enfin « plus » quoi ! Le coq de la basse-cour. Un personnage très intéressant, parfois agaçant, parfois ridicule, quelqu’un qui ne laisse pas indifférent, quelqu’un qu’on n’oublie pas.

Sur tous les sites, le groupe finissait toujours par attendre Mick. Il passait plus de temps que les autres à regarder les paysages, à appréhender son nouvel environnement. Man VS Wild. Il aurait été vain de lui demander de se dépêcher. Steven qui le connaissait bien nous a plusieurs fois expliqué qu’il prendrait de toute façon le contre-pied de ce qui lui serait demandé. Il nourrissait un besoin constant de se démarquer et on n’y pouvait rien. Il fallait qu’il soit différent, mais en mieux, en meilleur, en plus fort. C’est parce qu’il avait fait bande à part à Yol Valley qu’il n’avait pas vu les animaux sur la crête. L’éclatement du groupe avait énervé Silvij. Onji, notre guide ne gérait pas son équipe. Ana et Michaël prenaient des photos. Steven cherchait les animaux. J’apprenais quelques mots de mongols. Le groupe dans toute sa splendeur, et ce n’était que le début…

Le 10 août le minivan nous a conduits au pied des falaises flamboyantes de Bayanzag, au sud du désert de Gobi. Après une courte ascension, nous avons pu profiter d’une superbe vue sur le désert au soleil couchant. Le groupe s’est délité, chacun explorant le plateau à son rythme. Ana et Silvij prenaient des clichés, tandis que Steven scrutait le sol à la recherche de quelques trouvailles géologiques. Mick, comme à son habitude, jouait les explorateurs solitaires, le regard tourné vers l’horizon, la tête haute, l’air pensif. Après une petite heure de déambulation au sommet des falaises, nous sommes descendus retrouver Oggi qui nous attendait. Steven nous talonnait. Ana et Silvij n’ont pas tardé à nous rejoindre. Bien évidemment, il a fallu attendre Mick, l’éternel retardataire, le temps pour notre chauffeur de nous faire découvrir une de ses recettes de santé particulière.

Oggi chassait les scarabées dans le sable. Amusés, nous nous sommes mis à l’affût des petites bêtes noires. Plusieurs paires d’yeux valant mieux qu’une, nous avons trouvé rapidement l’objet de nos recherches. Nous désignions du doigt, tandis qu’Oggi se chargeait de ramasser. Les prises ont fini dans une bouteille en plastique contenant de l’alcool. Surpris d’avoir participés à cette quête macabre, nous l’avons interrogé sur cette curieuse pratique. Il nous a expliqué prendre une gorgée de cette décoction tous les matins en évoquant des vertus pour les maux d’estomac. Nous avons continué la chasse avec lui. Trois insectes de plus se débattaient dans le liquide. Il lui fallait laisser macérer dix bestioles, pas plus, pas moins, dans ce mélange pour obtenir les propriétés désirées. Oggi et les cafards : un surnom tout trouvé.

Le duo Oggi/Onji était assez drôle. Ils formaient une bonne équipe et étaient très complémentaires. Cela contribuait à créer une bonne ambiance au sein du groupe. Oggi était plutôt taquin avec Onji et parfois elle le lui rendait bien. Un jour elle l’a raillé en nous disant qu’il utilisait une crème de jour matifiante matin et soir. Elle a même sorti le tube de son sac en se moquant de lui. Oggi atteint dans sa virilité avait laissé courir. Mais c’était un juste retour des choses, avec toutes les piques quotidiennes qu’elle recevait. J’entends encore son rire communicatif résonner dans le minivan. Elle n’était pas toujours une bonne guide et ses explications nous semblaient souvent farfelues, mais d’une certaine façon elle a participé avec toutes ses maladresses, à nous rendre le séjour agréable.

Comme à son habitude avant d’arriver dans les villages ou les villes, Onji se remaquillait. Toujours les mêmes gestes. Coup d’œil rapide dans le miroir, fond de teint étalé à l’aide d’une petite éponge, soupçon de poudre et coup de pinceau pour uniformiser le tout, un peu de gloss sur ses lèvres pulpeuses. Après quoi, elle ajustait sa coiffure, parfois défaisait et refaisait son chignon, remettait sa raie bien de côté en insistant sur la courbure de sa frange. Toute une technique se déroulait sous nos yeux ; une technique aisément maîtrisée dans un véhicule tout terrain, sur une route cabossée, dans le désert de Gobi et ses tourbillons de poussière. Du haut de ses 21 ans, Onji était une jeune femme coquette, un brin naïve sur les bords, carrément attachante dans le fond. Khongor expédition n’était qu’un job d’été, un hobby comme elle aimait à le dire. Pourtant comme Oggi, elle bossait 7j/7, 18h/24 pendant la haute saison. Elle n’avait pas de formation particulière pour faire ce travail-là et son salaire n’était pas mirobolant. Ses connaissances étaient d’ailleurs un peu limite, et ses compétences largement bricolées. Elle faisait cependant preuve d’une bonne humeur constante et essayait, malgré les travers de l’organisation, d’être à notre écoute et à nos petits soins.

Onji n’avait pas de montre. Elle demandait souvent l’heure qui lui était donnée en anglais. Nous avons mis au moins trois jours à saisir qu’elle ne nous comprenait pas. En bonne asiatique, elle faisait en sorte de nous montrer sa maîtrise de la situation. Il lui aurait été trop pénible de dévoiler qu’elle ne savait pas : perdre la face ou la  difficulté d’admettre son échec. Alors que 13h30 pour nous, équivalait à un 11h00 ou 11h30 pour elle, nous avons plusieurs fois prolongé des activités tandis que nos ventres criaient famine. Difficile aussi d’évaluer les distances kilométriques et les temps approximatifs de route. Le plus souvent, nous roulions vers l’inconnu, respirant l’air chaud et sec du désert, les corps bringuebalés par le chaos de la piste, les yeux s’émerveillant des paysages lunaires que nous traversions. D’abord sujets de moqueries gentilles, ces quiproquos parfois cocasses n’ont pas toujours fait l’unanimité au sein du groupe.

Silvij, 35 ans, en couple avec Ana. Il est chauffeur de bus scolaire. D’un naturel jovial, un brin clownesque, il n’avait pas son pareil pour épingler les erreurs de parcours de notre guide. Si le plus souvent les railleries ou les critiques empruntaient au registre de l’humour, il osait quelquefois les remarques cinglantes : entre le gentil râleur et le client insatisfait. Le plus souvent il n’avait pas tort car il est vrai que l’organisation avait ses failles et il se plaignait rarement pour rien. C’est juste qu’Onji faisait de son mieux avec les outils qui lui étaient donnés. La faute incombait plus à ses employeurs, peu scrupuleux d’embaucher au rabais du personnel sous-qualifié.

Au fil des jours, les attaques de l’un ont fait germer les ripostes de l’autre. Nous dormions près du White lake, du côté de Terkhiin Tsagaan Nuur. C’était presque la fin du séjour. Les températures avaient bien refroidi depuis le désert de Gobi. A l’intérieur de la yourte, Michaël avait allumé un feu dans le poêle. Steven, le plus proche du foyer, s’exclama : « I’m cooking like a sausage ». Il devait faire au moins 40° là-dedans. Les verres de vodka s’accumulaient au fond des estomacs. L’ambiance était à la rigolade. Même Onji, qui d’habitude ne buvait pas, s’était laissé tenter par quelques verres de Gengis Khan. Rapidement réchauffée par la boisson, elle réalisa un véritable one woman show qui ne manqua pas d’amuser la galerie. Poussée par son amie et collègue Douma, une guide d’un autre groupe, elle commença par nous expliquer la conception de l’amitié chez les mongols et sa version de la fidélité.

Elle s’était en effet liée à un autre guide avec qui elle avait marché main dans la main la veille au soir. « Just friends » nous dit-elle. L’ennui, c’est que le petit copain d’Onji n’était pas au courant mais visiblement ce n’était pas un problème. Elle nous a dit, pas très sûre d’elle, qu’il comprendrait la situation. Nous n’avions rien demandé à ce sujet, nous n’avions même pas connaissance de ses activités. L’alcool aidant, Onji s’était juste dévoilée le plus simplement du monde, devant nos visages amusés par sa fraîcheur et son innocence. Après s’être enlisée dans des explications farfelues, elle reporta l’attention sur Silvij qu’elle affubla du sobriquet de « Mister Bean ». Outre son physique, elle expliqua que ses expressions et ses gestes lui rappelaient le personnage. Il ne fut pas vraiment ravi de son nouveau surnom. Comprenant sa vexation, elle ne cessait de répéter à tout bout de champ « just joking ! just joking ! » tout en pouffant de rire. Elle tenta en vain de trouver des surnoms aux autres hommes du groupe, comme pour relativiser le précédent éclat. Trop tard, le mal était fait, mais ce n’était pas grave. Entre elle et Silvij, ce n’était pas l’amour fou, et de toute façon après sa compagne Ana, il n’avait d’yeux que pour Oggi notre chauffeur qu’il vénérait comme un genre de super héros.

Quelques jours auparavant, Oggi s’était brillamment illustré dans un sauvetage difficile. Nous faisions route dans les montagnes entre les sources chaudes de Tsenkher et le Terkh White Lake. Il pleuvait depuis trois jours au moins. La terre était détrempée. Le minivan patinait régulièrement dans la boue. Oggi connaissait son camion, c’était indéniable. Il le conduisait avec une maîtrise parfaite et gérait impeccablement sa mécanique capricieuse. J’entends encore le craquement infernal du boîtier de vitesse. Ce jour-là, nous avons franchi plusieurs cols sans réelle difficulté, à l’exception d’une montée particulièrement ardue.

Arrivé en bas de la pente, notre chauffeur coupa le moteur du minivan. Il y avait deux voies d’accès possibles, un chemin très boueux sur la gauche, une piste plus sèche mais aussi plus abrupte sur la droite. Oggi prenait le temps de la réflexion. Nous attendions patiemment les consignes lorsqu’il démarra le moteur sans mot dire. Il s’élança à pleine vitesse au milieu du terrain sans emprunter ni l’un, ni l’autre des deux chemins possibles. Il préféra couper tout droit à travers un champ de hautes herbes, à l’endroit même où la pente était la plus prononcée. Assurément nous ne pouvions monter jusqu’en haut, ce n’était pas possible. Mais ce n’était pas non plus l’idée d’Oggi. Il plaça le véhicule en travers de la pente lorsque celui-ci se mit à ralentir et nous fit signe de descendre. Nous avons obéit, nous sommes éloignés et avons observé la suite de la manœuvre sous une pluie battante. Sur ce, Oggi redémarra l’engin, dirigea les roues face à la pente, donna un coup franc sur l’accélérateur, descendit quelques mètres à toute vitesse pour prendre son élan, braqua sur la gauche pour se remettre dans l’axe de la pente, réaccéléra plein pot une fois le camion sur la piste, et appuya le pied au plancher pour parvenir au sommet du chemin. Il arrêta le moteur, descendit du minivan un léger sourire au coin des lèvres, pas peu fier de ce qu’il venait de réaliser. Mais l’aventure était loin d’être finie.

En bas du chemin, un autre camion de Khongor Expédition tenta une approche plus classique pour grimper en haut du col. Il s’embourba rapidement. Marche avant, marche arrière, rien à faire, il était complètement coincé. Malgré ses efforts précédents pour parvenir en haut de la pente, Oggi sauta dans son camion pour venir en aide à l’autre conducteur. Il arrêta son véhicule près du sien, attacha une corde solide entre les deux engins et tira le deuxième minivan loin du chemin boueux. Ensuite il renouvela son exploit pour revenir en haut de la pente. L’autre chauffeur l’imita, et Oggi fut de nouveau très fier de ce qu’il venait d’accomplir. Le groupe l’ovationna, et Silvij s’exclama « this man is my hero ! »

Dans notre yourte près du Terkh White Lake, la température était bien redescendue depuis la soirée de la veille. C’était le matin, un peu avant le départ pour la randonnée à cheval. Onji avait mis les futurs participants au défi d’une course. Les paris étaient allés bon train. Elle se disait gagnante, Mick se voyait en haut de l’affiche tandis que je pensais Michaël largement favori. Chacun avait ses avantages. Onji était légère, connaissait les chevaux et les selles mongols. Mick avait passé le mois précédent à monter des chevaux au sein d’une communauté de nomades. Michaël avait donné des cours d’équitation il y a quelques années.

Une fois en selle, nous sommes partis pour une balade de quelques heures autour du volcan éteint Khorgo. Nous étions un groupe d’une douzaine de personnes plus trois cavaliers mongols. A part les trois prétendants à la course, la plupart des participants était rarement montée à cheval, voire pas du tout. L’équipement n’était pas vraiment adapté et il était évident que nous aurions mal partout le lendemain matin. Onji était surexcitée et elle trépignait d’impatience de se mesurer aux autres pendant la course. Mick de son côté avait insisté pour prendre le temps d’apprivoiser son cheval avant de se frotter aux autres concurrents. Il était assez nerveux et semblait être dans un rapport de force avec l’animal comme s’il espérait le dompter. Il fanfaronnait, le torse bombé, tirant sur les rennes et s’isolant du groupe comme à son habitude. Michaël quant à lui jouait les professeurs en dispensant des conseils avisés aux participants désireux d’améliorer leur technique.

A mi-chemin, nous sommes descendus de selle pour grimper en haut du volcan ; une ascension ardue d’une vingtaine de minutes pour profiter d’un joli panorama. Un break dans la balade, une pause avant la fameuse course. Nous sommes remontés en selle et avons pris le chemin du retour. Quelques kilomètres avant l’arrivée au camp, les participants ont commencé à se mettre d’accord sur les conditions du parcours. Ils étaient quatre en tout : Onji, Mick, Michaël et Anna, une jeune espagnole d’un autre groupe. Ils ont enchaîné trois petites courses de 250 mètres environ. Ils partaient comme des dératés. Onji était comme une dingue, Mick avait le goût de la victoire dans la bouche, Michaël s’amusait comme à ses quinze ans et Anna se défendait plutôt bien pour une première fois. Trois courses et pourtant un seul gagnant. Michaël les a emportées à chaque fois même si la dernière course s’est jouée à une moustache de cheval avec Mick qui a failli rafler une victoire.

Le lendemain, nous avons laissé le lac derrière nous et avons entamé la route du retour vers la capitale. Il ne nous restait plus que trois jours de voyage. Nos corps commençaient à fatiguer des kilomètres en camion, nos estomacs à être écœurés de la cuisine répétitive d’Onji, nos vêtements à empester sérieusement. Sur le chemin, nous avons fait une étape au monastère Erdene Zuu, un lieu important en Mongolie.

Après la visite de plusieurs temples bouddhistes, nous nous sommes baladés sur le site, chacun vaquant à ses occupations. A un moment, Onji nous a pris à part pour nous confier que c’était l’anniversaire de Silvij. Elle souhaitait lui offrir un petit cadeau et nous indiquer l’adresse d’un bon restaurant. Mais Ana ne l’entendait pas tout à fait comme ça. Elle préférait organiser un repas tout simple au camp, une petite bouffe sans prétention avec des ingrédients qu’elle et Silvij appréciaient. En d’autres termes, il faudrait éviter le mouton, le riz, les morceaux de viande cartilagineux et faire avec les moyens du bord pour essayer de concocter une tambouille mangeable. La nourriture mongole est assez monotone et lorsqu’on n’est pas amateur de viande, ce n’est pas évident de se plier au régime local. Sur le plan alimentaire, Silvij et Ana l’avaient un peu dure parfois, comme moi d’ailleurs, je ne vais pas m’en cacher. Il faut dire que certains repas relevaient du défi, une sorte d’épreuve comme la fois où nous avons pris la pause déjeuner sur la route qui nous menait aux sources chaudes de Tsenkher.

Il était presque une heure de l’après-midi et nous avions tous très faim. Onji nous a proposé de nous arrêter sur le bord de la route dans une sorte de relais routier version mongole avec des yourtes à la place des bâtiments. Elle a choisi une tente au hasard. Nous sommes entrés et nous sommes assis sur des petits tabourets. Au menu, un plat unique : une soupe de nouilles avec du mouton. La cuisinière nous a servi une tasse de thé au lait salé, la boisson locale. Nous l’avons observée le temps de la préparation. Après avoir nourri le feu avec de la bouse de yack sechée, elle a saisi une bassine de viande qui reposait à l’air libre à côté du canapé. Elle a découpé grossièrement quelques morceaux de viande de mouton qu’elle a jetés dans un gros poêlon posé sur le feu. Après quoi elle a ajouté quelques litres d’eau stockée dans une grande bassine, une pincée de sel, peut-être un peu de poivre, un seul oignon pour huit assiettes. Elle a posé un couvercle dessus et laissé porter à ébullition. Puis elle a ajouté à nouveau quelques plaques de bouse séchée dans le feu avant de saisir à pleine main une poignée de nouilles faites maison qu’elle a jetée dans le bouillon. A nouveau le couvercle pour laisser mijoter quelques minutes. Pendant ce temps elle nous a proposé de goûter du foie de mouton. Seul Mick s’y est risqué. Il a même rogné un os pour accompagner Onji et Oggi qui semblaient se régaler. Cette viande avait été semble-t-il, cuite à la vapeur au préalable. Depuis combien de jours ? Ça par contre nous ne le savions pas.

Nos soupes ont fini par arriver sur la table. Outre le manque d’hygiène de la cuisinière et le doute sur la fraîcheur des produits, le plat ne faisait pas trop envie. Dans nos bols, une sorte de bouillon blanchâtre, un amas grossier de nouilles un peu trop cuites, et des bouts cartilagineux de mouton. Mais nous ne pouvions pas trop faire les difficiles, tant par respect et politesse que par appétit. Alors on s’est jetés à l’eau à tour de rôle. Mick le premier, pour qui cela n’a pas été vraiment une épreuve. Au contraire même, il semblait apprécier la recette, sûrement par goût du défi. Puis Steven et Michaël qui en avaient vu d’autres. Enfin j’ai tenté l’expérience tandis que je voyais Ana et Silvij qui chipotaient avec leur bouillon. Le liquide était franchement fadasse, ce qui n’arrangeait pas les choses, car après avoir dépassé l’idée que c’était sûrement dégueulasse voire nocif pour notre santé, il aurait été plus simple que cela vaille le coup sur le plan gustatif. On a fait ce qu’on a pu. Seul deux d’entre nous ont pu finir leur assiette, Michaël et moi-même avons fait quelques efforts tandis qu’Ana et Silvij ont vite renoncé. Mais c’était de bonne guerre car vraiment l’expérience était aussi désagréable que risquée.

Pour préparer l’anniversaire de Silvij, nous avons fait les courses dans une petite épicerie près du monastère. Pas grand-chose à se mettre sous la dent à part dix marques différentes de vodka, de la bière et des cacahuètes. Nous avons opté pour un plat de pommes de terre sautées agrémenté de corned beef, de quelques carottes, d’oignons et de navet. On comprend mieux les difficultés d’Onji pour varier nos menus. Une fois arrivés au camp, nous nous sommes mises rapidement à la cuisine avec Ana tandis que les hommes prenaient l’apéritif. Un peu traditionnel comme schéma, j’ai failli bondir mais j’ai laissé couler. Ce fut l’occasion de connaître un peu mieux la discrète Ana.

Ana, 25 ans, slovène, en couple avec Silvij. Elle vient juste de terminer ses études en langues. Elle parle couramment le russe, l’anglais et le slovène sa langue maternelle. Elle a pour projet de devenir traductrice. Elle a habité quelques mois en Russie pour ses études et nous avons pu confronter nos impressions sur le pays. Nous avons aussi discuté de tout et de rien, et parlé avec Onji de l’organisation de notre périple. Elle nous demandait d’émettre des critiques, ce que nous avons fait, une sorte de bilan à la fin du séjour. Dans la marmite, nos pommes de terre tentaient de rissoler, en vain, et le plat commençait à ressembler à une drôle de bouillie. C’était une petite réunion entre femmes où j’ai appris un peu de l’énigmatique Ana, cette jeune femme sympathique et très discrète qui s’échappait souvent du groupe pour prendre des photos ; une sorte d’antithèse de son homme, Silvij, le joyeux fanfaron qui fêtait ce jour-là ses 35 ans.

Nous avons rejoint le reste du groupe les assiettes à la main. La tambouille n’était pas mauvaise malgré son aspect peu ragoûtant. Elle a plu aux convives et notamment à Silvij, c’était l’essentiel. Les hommes étaient déjà bien éméchés et après le repas, on a eu droit à un tour de table en chanson. Avec Michaël, nous nous sommes lamentablement illustrés dans une Marseillaise revisitée tandis que Silvij s’en est donné à cœur joie pour faire résonner son accent slave dans la pièce. Un couple d’italien s’est essayé dans une charmante version de « Ti amo », Mick a fait quant à lui une timide démonstration, ce qui ne lui ressemblait pas du tout, et Steven nous a bien fait rire en tentant une démonstration maladroite de danse casaque. La bière ne manquait pas et les shots de vodka commençaient à bien remplir nos estomacs. C’était un de nos derniers moments passé ensemble, un moment léger et simple pour conclure notre périple de près de deux semaines. Bientôt nous allions rejoindre Oulan-Bator où le groupe allait se séparer.

Après notre retour à la capitale, nous avons pris trois jours pour organiser la suite de notre voyage. La fin d’une étape et le début d’une autre. Nous avons dit au revoir à la Mongolie le 20 août dernier en entrant en Chine par Erlian après une traversée de frontière chaotique.

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